24-25 octobre 2013, site Pouchet du CNRS
Journées d’étude du Cresppa-CSU, Organisées par Sibylle Gollac (CNRS) et Frédérique Leblanc (Univ. Paris-Nanterre)
Présentation
Le terme « d’indépendant.e » regroupe généralement les travailleur.se.s qui échappent à la condition salariale et exercent leur activité professionnelle sans être soumis.e à une autorité par contrat de travail. En France, en 2009, l’INSEE en recense 2,3 millions, soit 11 % de la population active occupée. Dans la France contemporaine, qui sont ces travailleur.se.s indépendant.e.s ? Depuis les patrons des grandes entreprises jusqu’aux nouveaux auto- entrepreneurs, en passant par les artisans, commerçants et agriculteurs, comment les situer socialement, malgré leur grande hétérogénéité, tant en ce qui concerne les diplômes que les origines sociales, les revenus, les conditions de travail ou les niveaux et modes de vie ?
Dans la nomenclature des PCS, largement utilisée dans l’étude des classes sociales (dans les travaux quantitatifs, bien sûr, mais aussi dans les travaux qualitatifs qui la mobilisent pour objectiver l’appartenance de classe des personnes enquêtées), les travailleur.se.s indépendant.e.s constituent un groupe défini de façon principalement négative, rassemblant les non-salariés au sein des catégories des agriculteurs d’une part et des artisans, commerçants et chefs d’entreprise d’autre part. Pour autant, ces grandes catégories ne rassemblent pas que des indépendant.e.s stricto sensu, certains dirigeants d’entreprise étant salariés. Inversement, on retrouve des indépendant.e.s au sein de certaines catégories salariés (notamment des professions libérales ou exercées en « free lance »). Les travaux récents montrent d’ailleurs que, dans de nombreuses professions, les frontières du salariat et de l’indépendance se brouillent avec le développement de nouveaux statuts et la précarisation d’autres. Cette nomenclature offre donc peu d’outils pour saisir les points communs ou les hiérarchies internes à ces groupes de travailleur.se.s dit.e.s « indépendant.e.s ». Tandis que les catégories socioprofessionnelles salariées suivent une hiérarchisation sociale fine adossée aux classifications des entreprises et de la fonction publique ou aux niveaux de diplôme, les groupes indépendants font l’objet d’une stratification bien plus élémentaire. Les indépendant.e.s échappent ainsi à la plupart des études sur la stratification sociale.
Depuis le milieu des années 2000, l’intérêt porté aux « indépendant.e.s » comme le renouvellement des questions qui se posent à leur égard, nécessite de faire le point sur les recherches en cours. La diversité des situations des indépendant.e.s tant en termes de secteurs d’activité, de statuts juridiques, de conditions de travail et de type de tâches effectuées ou encore de rémunération pose la question de la pertinence d’une analyse séparée de ces travailleur.se.s, à partir d’une conception de la stratification sociale qui placerait les indépendant.e.s « à part ». Dès lors, comment arriver à situer socialement les indépendant.e.s ? Si certaines notions, comme celle de « classes populaires », permettent dans une certaine mesure de penser ensemble ouvriers, agriculteurs et petits artisans (contrairement à celle de prolétariat, par exemple, comme le souligne Olivier Schwartz), la condition dominée des uns s’avère plus aisée à démontrer que celle des autres : parce qu’elle est visible dans la hiérarchie des professions salariées, la position subordonnée des ouvriers dans la sphère du travail a notamment été cristallisée dans la nomenclature des PCS, ce qui n’est le cas ni pour les artisans ni pour les agriculteurs (qui, de fait, n’appartiennent pas tous aux classes populaires).
Certaines contributions à ces journées d’études mettront ainsi l’accent sur les difficultés méthodologiques et conceptuelles particulières rencontrées par les chercheur.se.s lorsqu’il.elle.s tentent de définir un groupe d’« indépendant.e.s », de circonscrire leur secteur d’intervention professionnelle, ou d’analyser leur position dans les rapports sociaux de pouvoir et de domination. D’autres contributions montreront comment, au travers d’interrogations variés, émergent des outils pour situer la position des travailleur.se.s indépendant.e.s au sein des rapports sociaux. On peut par exemple partir de la question des façons dont les travailleur.se.s indépendant.e.s défendent eux-mêmes leur place et sa spécificité au sein de la société actuelle, en s’appuyant sur quels ressorts ? Comment affirment-il.elle.s leur position et défendent-il.elle.s leurs intérêts à l’échelle individuelle ou collective, à l’intérieur de leur groupe professionnel ou encore vis-à-vis de l’extérieur ? Comment articulent-ils leur statut d’indépendant.e à leur appartenance professionnelle et à leur métier : dans quelles situations mettent-ils en avant l’un plutôt que l’autre et lequel ? Quels « arrangements » permettent la défense de l’autonomie de l’indépendance et de revendications collectives de statuts et/ou de métiers ? Une partie des communications analysera dans quelle mesure ces arrangements sont révélateurs des rapports sociaux de pouvoir et de domination qui traversent un groupe de travailleur.se.s indépendant.e.s, et le situent au sein des hiérarchies qui parcourent l’ensemble de la société ? D’autres pistes seront proposées pour analyser la position sociale des groupes d’indépendants. Une partie des communications s’attachera en particulier à montrer ce qu’apprennent les trajectoires – sociales, mais aussi familiales ou résidentielles – des individus qui composent ces groupes : au travers de l’origine sociale notamment, que disent ces trajectoires des capitaux de ces travailleur.se.s ? Quelle signification prend le passage par l’indépendance dans leurs parcours ? Constitue-t-il une voie d’ascension, un pis-aller, un déclassement ? Une autre partie des contributions se concentrera davantage sur les apports d’une observation fine des interactions des travailleur.se.s indépendant.e.s avec les différents interlocuteur.rice.s que leur procure leur activité professionnelle, clients et fournisseurs notamment. Dans quelle mesure ces interactions sont- elles révélatrices des rapports sociaux de pouvoir et de domination qui traversent un groupe de travailleur.se.s indépendant.e.s, et le situent au sein des hiérarchies qui parcourent l’ensemble de la société ? Ces différentes pistes permettent-elles plus largement d’enrichir la réflexion sur les outils méthodologiques aujourd’hui opérants pour analyser les rapports sociaux de classe ?
Programme et intervenant.es consultables sur Calenda